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DERMATITE DIGITÉE : LES LEVIERS DE LA MAÎTRISE SONT IDENTIFIÉS

Les différents stades de la dermatite© INRA

Maîtriser de façon durable la dermatite digitée suppose de combiner rigoureusement plusieurs leviers et de respecter les protocoles. Le plus important est sans doute d'avoir des vaches avec des pieds propres dans un bâtiment aux sols secs.

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LA DERMATITE DIGITÉE (DD), OU MALADIE DE MORTELLARO, est devenue en quelques années une véritable plaie pour les éleveurs laitiers. « Je n'ai pas de statistiques précises, mais dans les audits d'élevage que nous faisons avec nos étudiants, les boiteries prennent une part de plus en plus importante et pour trois quarts des cas, la dermatite digitée est en cause », assure le Dr Raphaël Guatteo, enseignant à l'école vétérinaire de Nantes (Oniris).

Ces épisodes récurrents de boiteries entraînent des pertes économiques importantes : 0,5 à 6 kg de lait/VL/jour, un intervalle vêlage-vêlage allongé de quarante jours et un risque de réforme multiplié par trois. Sans oublier le bien-être très affecté des animaux atteints du fait d'une douleur intense. Face à cette maladie, les éleveurs sont souvent désemparés et soumis aux nombreux messages publicitaires qui promettent des solutions qui n'arrivent que rarement. Car les moyens de maîtrise de la maladie n'étaient pas jusqu'alors clairement validés. Les travaux d'Anne Relun au sein d'Oniris, dans le cadre de l'UMT maîtrise de la santé des troupeaux bovins, permettent aujourd'hui d'y voir plus clair pour apporter un message aux éleveurs, et rationaliser les traitements et la prévention.

UNE MALADIE DONT ON NE SE DÉBARRASSE PAS

La DD est une maladie infectieuse contagieuse qui implique des bactéries du genre Treponema (comme la syphilis, la lèpre). Mais ces bactéries anaérobies ont une durée de vie très limitée dans le milieu extérieur. L'infection ne s'installe que si la peau digitée est fragilisée ou macérée par l'humidité. En contact avec une peau saine et sèche, la bactérie n'aura aucun effet. La DD se caractérise par une lésion circonscrite et superficielle dans l'espace interdigité, le plus souvent localisée entre les talons, à la jonction de la peau et de la corne. Dans 90 % des cas, seuls les membres postérieurs sont atteints. Ce sont ces lésions qui sont les sources de transmission de la bactérie. Ainsi, la DD est-elle bien une maladie qui s'achète par l'introduction d'un animal infecté dans le troupeau. D'où la nécessité impérative de regarder sous les pieds des nouveaux arrivants. Car une fois introduite, la DD est quasi impossible à éradiquer. Essentiellement parce que l'immunité est très faible et les animaux, même guéris, restent porteurs du germe très longtemps. Un stress ou un changement de milieu peut réactiver l'infection et relancer la contamination. Il est donc extrêmement difficile d'interrompre la transmission de l'infection dans le troupeau.

DES MOYENS DE PRÉVENTION

Maintenir un environnement sec et propre dans le bâtiment reste la meilleure des préventions. Certes, plus facile à dire qu'à faire, me direz-vous. Certains animaux sont aussi plus sujets à développer la maladie. Selon les observations, les prim'holsteins seraient plus sensibles que d'autres races (normande notamment). De manière générale, les hautes productrices, les primipares et les vaches au pic de lactation sont plus facilement atteintes.

« Il n'y a, à ce jour, aucun vaccin efficace contre la DD. Pour se protéger de l'agent pathogène, la première des précautions est d'en éviter l'entrée en contrôlant les animaux introduits. Ensuite, de limiter les sources à l'intérieur de l'élevage avec une détection et un traitement précoce des animaux infectés. J'ajouterai qu'il est indispensable de désinfecter le matériel de parage », précise Raphaël Guatteo.

Nous avons vu aussi l'importance de l'environnement pour maintenir des pieds propres et secs. Les pratiques d'élevage contribuant à cette hygiène n'ont pas toutes été identifiées. Mais les observations montrent que l'impact de la DD est plus important en l'absence de pâturage, dans les bâtiments à logettes, sur les sols en béton rainuré ou abrasifs, avec des raclages insuffisants et une surdensité. « Il faut surtout éviter l'humidité dans le bâtiment. Attention notamment à la localisation des abreuvoirs et au bon drainage des zones de rassemblement et de passage des animaux : Dac, râteliers, abreuvoirs, etc. », avertit Raphaël Guatteo.

UN PARAGE TOUS LES SIX MOIS EN ZÉRO PÂTURAGE

L'absence de parage préventif des animaux est un autre facteur de risque. En effet, des aplombs déséquilibrés vers l'arrière rapprochent le talon du sol, donc des souillures et de l'humidité qui fragiliseront la peau. « Pour des animaux qui ne sortent pas du bâtiment, il faut prévoir un parage tous les six mois et au moins une fois par an pour des animaux qui pâturent. Cette intervention permettra aussi d'évaluer la prévalence de la maladie ainsi que détecter d'éventuelles autres maladies du pied. Enfin, dans un avenir proche, la sélection génomique pourrait amener des animaux plus résistants à la DD (voir encadré). » Le diagnostic de la maladie repose toujours sur la visualisation des lésions.

UN DIAGNOSTIC PRÉCOCE

L'observation des boiteries est souvent insuffisante pour une détection précoce. La vache boite si la lésion est suffisamment étendue ou mal placée. Mais soulever les pieds de toutes les vaches dans une cage de contention de pareur est trop contraignant et chronophage pour être réalisé régulièrement. Un travail de recherche menée par cette même équipe basée à Nantes a montré qu'une détection en salle de traite avec un simple miroir orientable d'électricien et une lampe frontale permettait de repérer précocement les animaux atteints. Pour maîtriser la maladie, cette inspection en salle de traite est conseillée toutes les trois semaines.

LE TRAITEMENT INDIVIDUEL

Toute lésion détectée nécessite un traitement individuel systématique. Si la lésion est modérée, une pulvérisation locale en salle de traite matin et soir pendant trois jours suffira. Les spécialités à base de l'antibiotique Chlortétracycline sont les produits de référence. Des désinfectants non antibiotiques ont montré aussi leur efficacité. À ce jour, seul le Hoof-Fit Gel (cuivre et zinc chélatés placés sous pansement) a reçu une autorisation de mise en marché (AMM). Sur des lésions plus sévères, il est nécessaire de lever le pied de la vache dans une cage de contention et de protéger la plaie après le traitement avec un pansement. Pansement qu'il faudra impérativement renouveler ou retirer au bout de trois jours. Seuls les cas les plus graves avec des lésions profondes des tissus nécessitent un traitement antibiotique par injection, mais ces indications sont rares. « La plupart du temps, le traitement local suffit, à condition qu'il soit fait sur un pied propre et ressuyé avant l'application et que l'animal ait accès à un sol propre et sec au moins pendant trente minutes après l'application. » La lésion doit sécher et cicatriser au bout de quelques jours, laissant place à un épiderme épaissi qui n'est plus douloureux. L'animal est cliniquement guéri mais potentiellement encore porteur de la bactérie, avec un risque de rechute qui peut être décourageant.

LA DÉSINFECTION COLLECTIVE

Pour parvenir à une certaine maîtrise de la DD, le traitement individuel sera indissociable d'un traitement collectif pour l'ensemble du troupeau, soit par pédiluve, soit par pulvérisation en salle de traite. C'est l'assurance de traiter des lésions très précoces mais contagieuses qui n'ont pas été repérées par l'éleveur. Le moyen le plus utilisé pour appliquer un traitement collectif est le pédiluve placé en sortie de la salle de traite. Cela reste relativement contraignant pour l'éleveur et le non-respect du protocole est source d'échecs. La première règle est que les pieds soient nettoyés car la saleté inhibe l'effet du désinfectant. Cela nécessite soit un pédiluve de nettoyage placé devant celui de traitement (donc 2 x 3 m de longueur), soit un nettoyage au jet d'eau en salle de traite. Deuxième contrainte, la solution désinfectante doit être renouvelée tous les 150 passages, et le sol doit être propre et sec au moins trente minutes après le passage dans le pédiluve. Enfin, le traitement collectif s'applique impérativement pendant deux jours de suite, matin et soir, tous les quinze jours, avec un bain qui couvre le pied jusque sous les ergots, donc d'une hauteur minimum de 12 cm. La difficulté est aussi de choisir le bon désinfectant parmi toutes les offres commerciales. Les antibiotiques sont interdits, tout comme le formol très cancérigène. Les sels de cuivre sont efficaces mais polluants pour l'environnement. Les produits à base de cuivre ou zinc chélatés, d'ammonium quaternaire, ou de sulfate de cuivre associé à des agents potentialisant ont donné de bons résultats, mais peu d'études scientifiques valident vraiment l'efficacité des nombreuses solutions commerciales.

LE PRODUIT TOUJOURS APPLIQUÉ SUR DES PIEDS PROPRES

Vu toutes ces contraintes et sans parler des difficultés pratiques pour placer le pédiluve au bon endroit sans créer de bouchon dans le bâtiment, beaucoup d'éleveurs choisissent un traitement collectif des pieds par pulvérisation en salle de traite. Il a plusieurs avantages : moins de produit utilisé, le désinfectant est plus concentré et il n'y a plus ces grandes quantités de solution à évacuer. En contrepartie, le temps de traite est allongé : environ dix minutes supplémentaires pour 60 vaches.

« Attention, les mêmes règles que pour le pédiluve doivent être respectées : application du produit sur des pieds propres, des sols secs et propres en sortie de la salle de traite et une fréquence stricte de deux jours tous les quinze jours. Il n'y a aucun bénéfice à faire une application désinfectante uniquement mensuelle pendant deux jours, que ce soit en salle de traite ou au pédiluve », rappelle Raphaël Guatteo. Mais la clé est d'appliquer le produit quel qu'il soit sur des pieds propres.

DOMINIQUE GRÉMY

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